Articles >> Les acteurs dans l'ombre >> Interview - Bernard Asset : Un regard de photographe posé sur Michael Schumacher
A.Lamarque : 7/12/2021
Like 3
Interview - Bernard Asset : Un regard de photographe posé sur Michael Schumacher
Bernard Asset est une légende française de la photographie de Formule 1. Il a été et est toujours publié dans les plus grands magazines de sport automobile français : Échappement, Grand Prix International,
Auto Hebdo… Pionnier de la prise de vue, il réalise des photos embarquées de Formule 1, à cheval à l’arrière de la voiture et à des vitesses proches de 80 km/h. En 2018, au 34 ème Festival Automobile International, sa photo
“Duel de Ligier” est élue plus belle photo de l’année.
Il a également tissé des liens avec de nombreux pilotes : Didier Pironi, Nelson Piquet, Jean Alesi... De ces milliers de clichés, grâce à sa rencontre avec Lionel Lucas (Edition RedRunner),
ils ont décidé de commencer une série de livres pour mettre en lumière ces héros des temps anciens en débutant par le dernier géant de cette ère : Michael Schumacher.
Échange avec un témoin d’une époque révolue
Antoine Lamarque : Comment t’es venu l’envie de devenir photographe ?
Bernard Asset : L’envie de devenir photographe m’est venue très jeune. À l’âge de 11/12 ans, j’ai reçu un petit appareil photo (Instamatic, Kodak) pour ma communion. À partir de ce moment-là, je ne quittais plus cet
appareil et tout était prétexte à faire des photos. Ça n’est pas tout de suite que j’ai envisagé de devenir photographe mais ça a mûri tout doucement d’autant plus que mon père était photographe amateur donc j’étais
un peu bercé dans cet univers. Finalement, j’ai poussé mes parents à abréger mes études secondaires pour intégrer une école de photographie (École des Gobelins) après la seconde. Dès que j’avais 16 ans, je savais
que je voulais être photographe mais pas de quoi.
AL : À quel moment la bascule vers le sport automobile intervient-elle ?
BA : Pendant mes années de 14 à 16 ans, je rêvais de deux-roues et d’avoir une belle moto. De ce fait, je m’intéressais à la compétition moto. Je suis devenu motard et, comme tout bon motard, j’allais voir des courses :
Bol d’or, Le Mans, Montlhéry... Forcément, je faisais des photos et c’est là que j’ai eu mes premières publications dans un magazine de moto qui s’appelait La Moto. C’était un joli mensuel du groupe Hommell
(Groupe de presse français lancé en 1968 par Michel Hommell, ancien pilote automobile. ndlr.). Ils avaient organisé un concours et j’ai gagné un prix, ce qui m’a amené à les rencontrer pour montrer mon travail.
C’est comme ça que j’ai eu mes toutes premières parutions moto dans la presse. Très vite, ça a basculé vers l’automobile car, dans le même groupe de presse, il y avait Échappement. Le rédacteur en chef, Pierre
Pagani, m’a proposé d’aller voir des rallyes. En tant que futur photographe, j’étais ouvert à tous les sujets, donc aller voir du rallye tout terrain cela me plaisait aussi bien que la moto. J’y suis allé et
c’est ainsi que j’ai eu mes premières photos publiées dans Échappement.
AL : Racontes-nous ton premier week-end de Formule 1 en tant que photographe, quels souvenirs gardes-tu de cet événement ?
BA : Le premier grand prix où je me suis rendu, j’étais encore à l’école. C’était en 1973. J’avais prévu d’aller en Angleterre voir des amis et, quelques jours avant, je découvre qu’il y a le Grand Prix de Silverstone
le dimanche. Comme j’avais déjà tissé des liens avec Échappement, je demande au rédacteur en chef s’il peut me faire une demande d’accréditation, mais c’était trop tard à une semaine de l’événement. Il me fait quand
même une lettre que je mets dans ma poche. Le dimanche, je me rends à Silverstone et miracle, on me donne un laissez-passer. Je fais quelques photos notamment de François Cevert. C'était l’un des héros avec Beltoise
que je commençais à connaître grâce à la presse spécialisée. Je fais mes premières photos de Formule 1 ce week-end là mais je n’étais pas du tout professionnel. Mon premier week-end en tant que professionnel,
c’est quand j’ai intégré le magazine AutoHebdo trois ans plus tard.
AL : Tu as vu passer de nombreux champions, quelle était la réputation de Michael Schumacher quand il effectue sa première course en 1991 pour Jordan ?
BA : Je n’avais pas trop suivi ce qu’il avait fait avant. Je n’avais aucun souvenir sur Michael Schumacher pourtant, j'étais allé aux 24H du Mans cette même année. Il avait participé au volant d’une Sauber Mercedes. Je n'avais pas fait de photos de lui mais seulement de la voiture. Spa-Francorchamps 1991 (Grand Prix de Belgique) : on nous annonce ce pilote allemand qui remplace Bertrand
Gachot pour les raisons que l’on connaît (Arrêté à Londres suite à une altercation avec un chauffeur de taxi, ndlr.) . Je fais donc des photos comme c’est toujours le cas pour un nouveau pilote.
Je n’ai pas de jugement si ce n’est qu’il avait un port de tête, une attitude un peu arrogante, mais ça reste une impression.
Je ne peux pas dire grand-chose de plus sur lui si ce n'est qu’il s’est fait remarquer en piste (Septième pour sa première qualification et il domine son coéquipier, ndlr.).
AL : Dans quelles circonstances a lieu ta première photo de Michael Schumacher ?
BA : La première est à ce moment-là (Grand Prix de Belgique 1991). Il est dans le garage chez Jordan, on est de nombreux photographes à vouloir son portrait et puis à un moment, il pose pour nous. C’était une simple
séance photo comme il s’en passe souvent pour un nouveau venu.
AL : Au cours de sa carrière, est ce que ta relation avec le pilote a évolué ?
BA : Chez Benetton, vers 1992, il a fallu que je fasse une séance photo en studio au Grand Prix du Portugal à Estoril. J'avais installé des éclairages et là, il a posé normalement. Il n’y a pas eu un rapport particulier
d’échange. Par contre plus tard, je l’évoque dans le livre, c’était une séance photo lors des essais hivernaux à Barcelone pour l’Automobile Magazine. Leur journaliste avait organisé ça : une demande d’interview et de
séance photo. Les mécaniciens avaient amené la voiture au milieu de la piste à 8h du matin. On avait prévu de faire venir Michael derrière la voiture pour faire une belle photo. Je m’étais allongé par terre avec un gros
téléobjectif, très loin pour avoir une belle perspective. Tout était arrangé avec le team manager et au moment de faire la photo, le team manager qui devait amener Michael arrive tout seul, sans personne. Il nous dit :
"Désolé, on ne fera pas la photo, Michael trouve qu'il fait trop froid” (C'était en février). La photo est annulée.
Les mécanos ont ramené la voiture aux stands. Avec le journaliste, nous étions dépités. Il a fallu l’intervention de l’attaché de presse de Benetton auprès de Flavio Briatore (Directeur de l’écurie, ndlr.) pour qu’on puisse
faire la photo le lendemain. À ses débuts, c'était donc un peu difficile avec la presse. Quand il est rentré chez Ferrari (1996, ndlr.), j’ai eu d’autres opportunités de faire des photos avec lui pour des rendez-vous avec
Sport Auto ou l’Auto Journal. Il avait beaucoup évolué et ça c’est toujours très bien passé. Il avait un professionnalisme à ce niveau-là qui est assez étonnant et une curiosité surtout. Il voulait savoir pourquoi ? Comment ?
Il était soucieux de consulter les photos et ainsi corriger sa pose. Il appréciait aussi qu’on lui présente le résultat final dans le magazine.
AL : As-tu vécu un moment de stress lors d’une séance photo ?
BA : Je repense à cette photo où il est assis par terre au milieu des quatre roues. Là aussi, c’était un rendez-vous pour le magazine Sport Auto avec Alain Pernot (Journaliste, ndlr.). Nous retrouvions Michael Schumacher
sur le circuit du Mugello, on avait trouvé une idée de photos qu’il a fallu soumettre à Ferrari et qui soit validée par Michael Schumacher. Ce dernier a accepté. J’étais un peu stressé car avoir Michael Schumacher tout seul
sans aucun photographe autour, à ce moment-là de sa carrière, c'était rare. J’avais donc pris soin de disposer mes quatre roues en amont pour lui faire perdre le moins de temps possible. Peu de temps avant qu’il n’arrive,
il y a eu un coup de vent. Une roue s’est mise à avancer et donc en catastrophe, il a fallu que je la remette en place. Tout ce que j’ai trouvé pour la caler, c’est un mégot de cigarette. J’ai ainsi sécurisé les quatre roues
pour qu’elles ne bougent pas lors de la prise de vues. Les mégots visibles sous les pneus ont été enlevés en retouche.
AL : Tu suis donc Michael Schumacher jusqu’à ces dernières années chez Mercedes, à quelle occasion réalises tu ton dernier cliché de Schumacher pilote ?
BA : Je dirai au Grand Prix du Brésil, le dernier auquel il a participé avec Mercedes. Là, il tombe dans les bras de Sébastian Vettel à la fin de la course (Vettel venait de remporter son troisième titre, ndlr).
Ils se font l’accolade et ils sont casqués tous les deux. C’est un peu une transmission de relais puisque Vettel était déjà proche de Schumacher. On l’avait même surnommé “Baby Schum”. C’est le souvenir que j’ai
de ma dernière photo de Michael en tant que pilote.
AL : Tu as aussi suivi Schumacher en dehors de la piste et notamment dans une série de clichés au ski à l’époque de Ferrari. Ces photos rappellent une autre de ses passions, mais aussi son tragique accident.
Quel regard portes-tu sur ces clichés aujourd'hui ?
BA : Alors ça, c’était vraiment des opportunités extraordinaires que l’on a eu quelques photographes et journalistes d’avoir été invités à ces semaines de ski un peu loisir. Elles permettaient aux pilotes et aux membres de
Ferrari de se retrouver. Ferrari et ses sponsors en faisaient profiter la presse et on avait l’occasion de faire du ski aux côtés des pilotes. D'ailleurs, Michael Schumacher était difficile à suivre tellement il était un
bon skieur et rapide. D’autres activités nous étaient proposées par les organisateurs (karting sur glace, balades de chiens de traîneau, slalom…) pour nous permettre de réaliser des images différentes.
Après ce qu’il s’est passé il y a 8 ans, toutes ces photos me reviennent en mémoire. Il ne faut pas faire l’amalgame en disant qu’il faisait l’idiot ou le fou à ski parce qu’il était très bon et prudent.
On sait que, quand il a eu son accident, il était en mode promenade avec son fils Mick. Là, c’est la malchance, c’est tout.
AL : Si tu ne dois retenir qu’un seul cliché de toutes ces années à suivre le pilote allemand, lequel ça serait et pourquoi ?
BA : Ce sont les clichés des séances de travail tard le soir dans les garages. Il était toujours le dernier à la nuit tombée à rester dans le garage, à observer sa voiture ou à discuter sur un détail avec les ingénieurs.
On le sentait pinailleur, méticuleux et à 100% à accompagner le travail de son équipe.
AL : Tu as sorti un livre sur le pilote et il a été nominé au Sportel Awards (Événement récompensant les plus belles images et le meilleur livre du monde du sport, ndlr.), preuve de l’excellence des images, peux-tu nous présenter ce projet et ses motivations ?
BA : Ce projet date un peu, j’y pensais depuis 4 ans. Je m’étais dit : “Michael Schumacher est le dernier pilote de ce calibre avec lequel j’ai pu faire des photos un peu différentes et surtout en dehors du contexte des courses.” Aujourd’hui, avec Lewis Hamilton, un journaliste qui veut avoir une interview exclusive avec un photographe, c’est très compliqué voir impossible, peut être un rendez-vous un an à l’avance. Le photographe pourra
même être refusé. L’écurie préférant fournir ses propres photos au journaliste.
Michael Schumacher, c’est une période charnière où l’on pouvait encore approcher et traiter en direct avec les pilotes ce qui par la suite est devenu beaucoup plus difficile.
La promesse d’une préface signée de Jean Todt m’a convaincu de tout faire pour réaliser le projet.
Il a fallu ensuite attendre deux ans pour que je rencontre le bon éditeur en la personne de Lionel Lucas des éditions RedRunner pour pouvoir le concrétiser en début d’année.
AL : Une des raisons de ce livre est aussi et je cite : “je trouve qu’on ne parle pas trop de Schumacher en France.”
Maintenant, que ton livre a été nominé, que le documentaire Netflix est sorti et que son fils roule dans la catégorie reine, penses-tu que
cela est suffisant ou souhaites-tu enfoncer le clou avec d’autres projets ?
BA : Non, je ne pense pas me lancer sur un autre projet sur Schumacher si ce n’est une réédition possible. De plus, AutoHebdo a sorti un hors-série sur le pilote où l’on retrouve d’autres de mes images.
J’en suis ravi car ça ne fait encore que parler de Michael Schumacher. Il est maintenant temps de mettre en valeur d’autres pilotes comme Jacques Laffite qui fait l’objet de mon nouvel album sorti cette semaine :
https://redrunner.fr/jacques-laffite/
AL : Pour conclure, nos lecteurs, pour une majorité, n’ont pas vécu l’époque Schumacher. Quelle image du pilote veux-tu qu'ils aient en tête ?
BA : C’est l'image d’un pilote très travailleur et talentueux aussi. Il était soucieux de sa bonne condition physique. Il a été un des précurseurs à ce niveau-là. Avant les années 2000 et encore plus dans les années 80,
les pilotes ne se préoccupaient pas trop de leur condition physique. Tout comme Ayrton Senna et Alain Prost, il savait motiver ses troupes et passait du temps tard le soir avec ses ingénieurs. C’est un peu le point commun
de ces grands champions.